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Ouverture de cette page fin mai 2015
Piqué sur le blog de Michel Onfray
La chronique mensuelle de Michel Onfray | Janvier 2015 – N° 116
N’OUBLIEZ PAS LES ENFANTS -
Une amie m’a un
jour envoyé un message me disant qu’elle avait retrouvé un livre ayant
appartenu à mon père… Il y avait en effet sur la page intérieure, au
crayon à papier, son prénom, son nom, ceux de son village et du
département. Pas question de se tromper, donc.
Mon père a dû quitter
l’école vers l’âge de treize ou quatorze ans pour travailler dans une
ferme. Il a été toute sa vie ouvrier agricole. Ce qu’il savait, il
l’avait appris à l’école primaire : lire, écrire, compter, mais aussi
penser, sans parler d’une multitude de connaissances qui relevaient de
nombreux domaines : littérature et géographie, poésie et sciences
naturelles, histoire et beaux-arts à quoi il faut ajouter, leçons de
morale obligent, tout ce qui relève de la sagesse populaire, proverbes
et dictons. Je l’ai entendu pendant toute mon enfance citer des vers
d’Hugo, « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn… », d’autres de
Corneille « Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort… » ou
réciter intégralement « Le laboureur et ses enfants »…
Un jour d’université populaire du goût consacré à George Sand, il y avait là des auteurs incollables sur l’auteur de La mare au diable,
un livre qu’il avait lu. Mon père dit se souvenir d’un texte de George
Sand qui racontait la mort d’un cheval, son ensevelissement à même la
terre et la repousse de l’herbe, plus verte, plus forte, plus drue, la
saison suivante. Leçon de panthéisme païen… Les spécialistes ne voyaient
pas à quel texte cela pouvait renvoyer. J’ai cherché et n’ai jamais
retrouvé.
Jusqu’à ce que, dans le Dictionnaire amoureux du cheval
de l’ami Homeric je retrouve cette histoire racontée… par Maupassant !
Certes, mon père s’était trompé, mais la confusion entre Sand et
Maupassant suppose qu’on connaisse au moins les deux noms… Est-ce qu’un
ouvrier agricole dans la France d’aujourd’hui aura eu la formation
scolaire lui permettant de commettre cette erreur d’attribution ? Je
crains que non…
Dans le livre qui fut
celui de mon père (et qui s’est retrouvé miraculeusement sur mon bureau
sauvé de la poubelle par une dame qui lui avait épargné la mort à cause
de ses gravures…) les auteurs au programme étaient, entre autres, Hugo
& Chateaubriand, Vigny & Sand, Lamartine & Michelet, Balzac
& Zola. Et Maupassant…
On pensait à l’époque
qu’un enfant n’avait pas besoin de la littérature dite pour enfant qui
l’entretient dans l’enfance avec ses problèmes, ses soucis, ses
histoires, son quotidien, mais de littérature, un point c’est tout. Les
morceaux soigneusement choisis des Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand ou de L’Histoire de France de Michelet, des Contemplations de Hugo ou du Cid
de Corneille offraient une occasion de découvrir le beau style et le
roman du peuple, l’épopée lyrique et les logiques de l’honneur, ou bien
ce texte de Maupassant, Coco, les mécanismes de la nature dans laquelle rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
Contre la littérature qui
infantilise parce qu’elle entretient le lecteur dans son petit monde,
on peut préférer la littérature qui le sort de son univers et hisse les
âmes un cran au-dessus – ce que devrait être tout projet pédagogique. La
fin des notes et l’ordinateur obligatoire pour tous ne fera rien à
l’affaire, car sur les écrans, on y lira toujours ce qui conforte
l’enfant dans son enfance. Mais dans une société où les adultes
s’infantilisent comment pourrait-on espérer que les adultes souhaitent édifier leurs enfants ?©Michel Onfray 2015